24ème dimanche du temps ordinaire (Année C)

24ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE (ANNÉE C)

Ex 32,7-11.13-14; Ps 50; 1Tm 1,12-17; Lc 15,1-32

Oui, je me lèverai, et j’irai vers mon Père

L’invitation à la conversion

La Divine Providence nous fait relire dans la version longue de l’Évangile de ce dimanche la célèbre parabole, souvent appelée la parabole du fils prodigue ou aussi la parabole du père miséricordieux. Il s’agit bien d’un joyau du récit évangélique qui, à lui seul a provoqué plus de conversions que tous les autres discours sur le sujet. Le risque, cependant, est le suivant : nous sommes tellement habitués à l’intrigue, au point que dès qu’on entend la phrase d’ouverture de la parabole « Un homme avait deux fils », on sait déjà comment cela se termine et « éteint » donc l’attention, attendant avec impatience la fin de l’annonce de l’Évangile !

Chaque parole de Dieu proclamée n’est jamais une lettre morte mais un message toujours nouveau, car c’est le Dieu vivant qui parle encore au cœur des fidèles qui l’écoutent avec foi, docilité et une pincée de saine curiosité pour mieux comprendre certains aspects jamais envisagés. Quelque chose de nouveau peut toujours être appris de cette parabole si nous scrutons plus attentivement son riche contenu. Pour éveiller la curiosité, je vous demande : si « Un homme avait deux fils, (…) Et le père leur partagea ses biens », combien le fils cadet aurait-il reçu ? On pourrait penser que chacun d’eux avait reçu la moitié de la succession de son père, mais peut-être que cela ne s’est pas produit. Dans la loi juive, dans une telle situation, le fils aîné recevait les deux tiers de son droit d’aînesse (cf. Deut 21,17), tandis que le cadet ne recevait qu’un tiers ! Ce détail, désormais éclairci, nous incitera peut-être à réfléchir sur notre parabole très méditée pour découvrir quelques nuances nouvelles sur les trois protagonistes de l’histoire ; cela sera sûrement utile à chacun de nous pour le chemin de conversion.

1. Le repentir du fils cadet

Le retour du fils cadet auprès de son père après une vie gâchée et dissolue, loin de la maison paternelle est très beau et émouvant (l’éloignement est souligné par la mention des « cochons » à l’endroit où se trouvait le fils prodigue : il était loin géographiquement et spirituellement de la terre d’Israël parce que les porcs, considérés comme des animaux impurs, ne « circulaient » pas parmi les familles juives ; cela met encore plus en évidence l’humiliation que le fils cadet a dû subir, au point de renoncer à la tradition de la pères pour rester avec des porcs). C’est donc édifiant et encourageant pour de nombreux auditeurs de la parabole qui devraient faire le même chemin de « double » retour, quelle que soit la distance à laquelle ils se trouvent. Nous invitons d’abord un « retour à soi » puis un retour effectif à Dieu avec l’humble confession des péchés commis : « J’ai péché ».

Cependant, le récit indique subtilement qu’une telle repentance n’était pas le fruit de son amour pour le Père, mais simplement parce qu’il avait faim, comme il l’a lui-même admis : « moi, ici, je meurs de faim ! » Oui, trop banal, pas très poétique, mais cruellement vrai. Le retour du cadet à lui-même n’est pas dicté par le sentiment du cœur, mais par le vide de l’estomac ! Bien sûr, c’est bien aussi, et loin de nous l’idée de porter un jugement hâtif à ce sujet. Ça va aussi ! En effet, parfois dans la vie, le Ciel, c’est-à-dire le Dieu rempli de charité et miséricordieux, a laissé ses enfants prodigues arriver à cette faim physique (selon leur volonté !) pour une possible révision de vie. Il les a laissés toucher le fond de leur misère causée par eux-mêmes, car c’est parfois seulement ainsi qu’on peut commencer à penser aux choses essentielles. En effet, quelqu’un m’a dit : « si je n’avais pas rencontré une situation aussi critique d’échec total, je n’aurais peut-être jamais fait ma conversion à Dieu pour vivre heureux avec lui maintenant et dans sa paix ». Par conséquent, nous devons toujours remercier le Ciel pour chaque « faim » que nous éprouvons. Ce ne sera jamais une tragédie à endurer, mais toujours une opportunité à exploiter.

Curieusement, la confession des péchés du fils cadet apparaît comme une déclaration « préconçue », pour ne pas dire « calculée », sans peut-être trop de sentiment. Il a mémorisé la « formule » et l’a répétée au moment de la rencontre avec son père, mot pour mot : « Père, j’ai péché contre le ciel et envers toi. Je ne suis plus digne d’être appelé ton fils ». Il est cependant curieux de constater que lors de la rencontre avec le père, le fils cadet n’a pas pu terminer le discours qu’il avait préparé avec l’ultime requête : « Traite-moi comme l’un de tes ouvriers ». En effet, son père l’accueillit aussitôt, voire l’acquitta et lui rendit sa dignité filiale avec la (plus belle) robe, la bague et les sandales, sans qu’il ne demande quoi que ce soit. Le repentir du fils, même s’il était minime (en tout cas, loin d’être parfait), trouva néanmoins une réponse généreuse inattendue de la part du père qui, seulement en voyant son fils revenir de loin, « fut saisi de compassion ; il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers ».

Quelle scène palpitante et émouvante ! Il me semble voir l’image de la rencontre mystique entre le pénitent et le Père céleste miséricordieux dans le sacrement de la confession. C’est donc le cœur plein d’amour de Dieu qui accueille le retour d’un de ses plus jeunes enfants. Et il en est de même du repentir du pénitent qui répète presque sans cœur la « formule » de la contrition. Une repentance imparfaite qui ne se fait pas par amour pour Dieu, mais par habitude, pour des causes secondaires telles que la faim ou la peur du châtiment. Ici, le repentir du fils cadet n’est certes pas au centre de la parabole, mais la générosité du père qui ne veut que « voir » la présence de son fils pour l’embrasser d’un cœur plein d’amour, sans juger s’il est revenu avec un cœur sincère, ou s’il s’est vraiment repenti !

2. L’amour miséricordieux du père

L’amour généreux et inconditionnel du père pour son fils prodigue émerge non seulement au moment de leur rencontre, mais aussi avant. Le texte biblique souligne : « Comme il [le fils cadet] était encore loin, son père l’aperçut et fut saisi de compassion… ». Comment se fait-il que le père ait pu voir son fils à l’horizon ce jour précis et à cette heure-là ? Est-ce un pur hasard ? Ce jour-là ou cet après-midi-là, peut-être que le père était fatigué et qu’il est allé se reposer dans le jardin devant la maison et qu’il a donc vu son fils revenir ? Ou peut-être plutôt parce que depuis le départ du fils, le père sortait tous les jours de la maison et, regardant constamment dans la direction où le fils était parti, attendait patiemment son retour. Par conséquent, lorsque le fils est revenu, le père a pu le voir immédiatement, car il attendait ce moment tous les jours. Il me semble donc que l’amour miséricordieux du père s’exprime non seulement par des actes de compassion et d’accueil lorsqu’il rencontre son fils, mais aussi et surtout par l’attente patiente de son retour. Et avec cela, je pense à l’attente de Dieu dans la personne du prêtre qui, parfois attend des heures et des heures au confessionnal sans aucun pénitent, mais précisément en attendant patiemment quelque « fils prodigue ». C’est la mission des missionnaires du Christ qui sont précisément des missionnaires de la miséricorde. Si ce n’est pas aujourd’hui, peut-être reviendra-t-il demain ; ou peut-être après-demain. Un jour il reviendra sûrement !

Revenant à la parabole, la miséricorde du père a été montrée non seulement au fils cadet, mais aussi au fils aîné. Ironie du sort, ce dernier est aussi « rentré » des champs, mais « Quand il revint et fut près de la maison, il entendit la musique et les danses. Appelant un des serviteurs, il s’informa de ce qui se passait». Un détail étrange est à noter : le fils aîné ne veut pas rentrer chez lui en entendant « la musique et les danses », mais il fait venir un domestique pour savoir ce qui se passe. Très probablement, connaissant son père, il avait déjà deviné quelque chose sur le retour de son frère. En effet, après en avoir été informé, « le fils aîné se mit en colère, et il refusait d’entrer ». Et c’est précisément ici que le père montra tout son amour patient pour ce fils aîné devenu, de fait, le rebelle : « Son père sortit le supplier ». C’est une action vraiment inhabituelle dans la culture patriarcale juive et généralement asiatique, où le père commande et ne supplie jamais ses enfants. Aussi, après l’emportement du fils aîné qui appelle son frère de façon désobligeante « ce fils à toi », le père ne s’est pas fâché (et ne l’a pas réprimandé en disant «Alors tu réponds à ton père ? »). Non seulement cela, le père continue d’appeler ce fils rebelle son « fils » et explique patiemment la raison de la fête.

En effet, au fils aîné qui a reçu les deux tiers de sa succession, le père réaffirme sa générosité en lui donnant tout : « tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi ». Voici la miséricorde du père, lent à la colère et plein d’amour ; il ne tient pas compte des offenses qui lui sont faites et garde toujours son cœur ouvert même à ceux qui, bien qu’étant proches de lui, le font parfois plus souffrir que ceux qui sont éloignés ! C’est le drame du Père, le céleste, qui pourtant ne perd jamais patience en attendant le retour de ses enfants, proches et lointains. Rappelons-nous la belle observation du pape François : « Dieu ne se fatigue jamais de nous pardonner, (…) mais nous, parfois, nous fatiguons de demander pardon », de retourner vers Lui. (Angélus, Place Saint Pierre, Dimanche 17 mars 2013).

3. Le fils aîné et un possible « retour » dans la maison paternelle

Comme la parabole du figuier stérile, celle d’aujourd’hui a également une ouverture finale. Après la réponse du père avec l’invitation à se réjouir de « ce frère à toi », on ne sait pas quelle sera la réaction du fils aîné. Va-t-il ou ne va-t-il pas rentrer chez lui, c’est maintenant la question ! Ainsi, chaque auditeur de l’histoire avec ses actions décidera pour le fils aîné. C’est l’invitation subtile mais urgente que Jésus adresse à travers ce dénouement de la parabole à tous ses interlocuteurs directs. C’étaient « les pharisiens et les scribes » qui récriminaient contre lui : « Cet homme fait bon accueil aux pécheurs, et il mange avec eux », car, comme le remarque saint Luc l’évangéliste, « Jésus leur dit cette parabole ». Et là, pour retourner dans la maison paternelle comme l’a fait le fils cadet, il faut un changement de mentalité, un dépassement des schémas de pensée habituels, une conversion évangélique en somme !

Parmi les pharisiens et les scribes qui ont écouté Jésus à l’époque, nous ne savons pas combien ont effectivement accueilli son invitation à revenir. Néanmoins, chacun de nous qui entend cette parabole aujourd’hui est appelé à le faire maintenant, toujours en ayant à l’esprit un Père aimant et compatissant qui attend patiemment le retour de chacun de ses enfants, lointains et proches.

Pape François, Exhortation Apostolique sur l’annonce de l’Évangile dans le monde d’aujourd’hui, Evangelii Gaudium

15. Jean-Paul II nous a invité à reconnaître qu’il « est nécessaire de rester tendus vers l’annonce » à ceux qui sont éloignés du Christ, « car telle est la tâche première de l’Église ». L’activité missionnaire « représente, aujourd’hui encore, le plus grand des défis pour l’Église » et « la cause missionnaire doit avoir la première place ». Que se passerait-il si nous prenions réellement au sérieux ces paroles ? Nous reconnaîtrions simplement que l’action missionnaire est le paradigme de toute tâche de l’Église. Dans cette ligne, les évêques latino-américains ont affirmé que « nous ne pouvons plus rester impassibles, dans une attente passive, à l’intérieur de nos églises », et qu’il est nécessaire de passer « d’une pastorale de simple conservation à une pastorale vraiment missionnaire ». Cette tâche continue d’être la source des plus grandes joies pour l’Église : « Il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes, qui n’ont pas besoin de repentir » (Lc 15, 7). 

Jean-Paul II, Lettre encyclique sur la valeur permanente du précepte missionnaire, Redemptoris Missio

La première annonce du Christ Sauveur

44. L’annonce a, en permanence, la priorité dans la mission. L’Eglise ne peut se soustraire au mandat explicite du Christ, elle ne peut pas priver les hommes de la Bonne Nouvelle qu’ils sont aimés de Dieu et sauvés par lui. « L’évangélisation contiendra aussi toujours – base, centre et sommet à la fois de son dynamisme – une claire proclamation que, en Jésus Christ …], le salut est offert à tout homme, comme don de grâce et miséricorde de Dieu ». Toutes les formes de l’activité missionnaire tendent à cette proclamation qui révèle et introduit dans le mystère caché depuis les siècles et dévoilé dans le Christ (cf. Ep 3, 3-9; Col 1, 25-29), mystère qui est au cœur de la mission et de la vie de l’Eglise, et qui forme le pivot de toute l’évangélisation.

Dans la réalité complexe de la mission, la première annonce a un rôle central et irremplaçable parce qu’elle introduit «dans le mystère de l’amour de Dieu, qui appelle à nouer des rapports personnels avec lui dans le Christ» et qu’elle ouvre la voie à la conversion.

Conversion et baptême

46. L’annonce de la Parole de Dieu est ordonnée à la conversion chrétienne, c’est-à-dire à l’adhésion pleine et sincère au Christ et à son Evangile par la foi. La conversion est un don de Dieu, une action de la Trinité: c’est l’Esprit qui ouvre les portes des cœurs afin que les hommes puissent croire au Seigneur et « le confesser » (1 Co 12, 3). De celui qui s’approche de lui par la foi, Jésus dit: «Nul ne peut venir à moi, si le Père qui m’a envoyé ne l’attire» (Jn 6, 44).

La conversion s’exprime dès le début par une foi totale et radicale qui ne pose ni limites ni délais au don de Dieu. En même temps, elle déclenche un processus dynamique et permanent pour l’existence entière, exigeant un passage continu de la «vie selon la chair» à la «vie selon l’Esprit » (cf. Rm 8, 3-13). La conversion signifie que l’on accepte, par une décision personnelle, la seigneurie salvifique du Christ et que l’on devient son disciple.

L’Eglise appelle tout le monde à cette conversion, à l’exemple de Jean-Baptiste qui préparait les chemins du Seigneur en « proclamant un baptême de repentir pour la rémission des péchés » (Mc 1, 4), et à l’exemple du Christ lui-même qui, « après que Jean eut été livré, vint en Galilée, proclamant l’Evangile de Dieu et disant: « Le temps est accompli et le Royaume de Dieu est tout proche; convertissez-vous et croyez à l’Evangile » » (Mc 1, 14-15).

Aujourd’hui, l’appel à la conversion que les missionnaires adressent aux non-chrétiens est mis en question ou passé sous silence. On y voit un acte de «prosélytisme»; on dit qu’il suffit d’aider les hommes à être davantage hommes ou plus fidèles à leur religion, qu’il suffit d’édifier des communautés capables d’œuvrer pour la justice, la liberté, la paix, la solidarité. Mais on oublie que toute personne a le droit d’entendre la Bonne Nouvelle de Dieu, qui se fait connaître et qui se donne dans le Christ, afin de réaliser pleinement sa vocation. La grandeur de cet événement est mise en relief par les paroles de Jésus à la Samaritaine: «Si tu savais le don de Dieu», comme aussi par le désir inconscient mais ardent de la femme: « Seigneur, donne-moi cette eau, afin que je n’aie plus soif » (Jn 4, 10. 15).