De la mission de Jésus à celle des disciples
De la mission de Jésus à celle des disciples
- Par le père Dinh Anh Nhue Nguyen, o.f.m. Conv., secrétaire général de l'Union pontificale missionnaire
15ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE (ANNÉE B)
Am 7,12-15; Ps 84; Ep 1,3-14; Mc 6,7-13
De la mission de Jésus à celle des disciples
L’évangile d’aujourd’hui représente la suite du passage que nous avons entendu dimanche dernier : « Jésus parcourait les villages d’alentour en enseignant » (Mc 6,6). C’est le contexte temporel et théologique de l’action de Jésus d’envoyer ses disciples, décrite dans le passage d’aujourd’hui. Cette insistance sur le contexte est fondamentale pour comprendre la portée de cet événement et le sens de l’enseignement de Jésus : la mission des disciples part et s’inscrit pleinement dans la mission itinérante que Jésus est en train d’accomplir pour le royaume de Dieu.
- « Jésus appela les Douze ; alors il commença à les envoyer en mission deux par deux. Il leur donnait autorité sur les esprits impurs » (Mc 6,7). Le lien intrinsèque entre vocation et mission
La phrase d’ouverture évoque cet appel des Douze que l’évangéliste avait décrit précédemment dans Mc 3, 13-15 : « [Jésus] gravit la montagne, et il appela ceux qu’il voulait. Ils vinrent auprès de lui, et il en institua douze pour qu’ils soient avec lui et pour les envoyer proclamer la Bonne Nouvelle avec le pouvoir d’expulser les démons ». En comparant ces deux passages évangéliques, on peut souligner trois aspects intéressants.
Tout d’abord, toute mission part de la vocation que le Seigneur donne de par son initiative exclusive à « ceux qu’il voulait ». Il n’y a pas de mission sans vocation. D’autre part, tout appel du Seigneur est toujours adressé pour une mission spécifique confiée par lui aux personnes appelées. Il n’y a pas de vocation sans mission. C’était déjà le cas pour les prophètes de Dieu de l’Ancien Testament, comme d’Amos (première lecture). Cet homme, qui n’était ni prophète, ni fils de prophète fut appelé par Dieu qui lui confia la mission d’aller prophétiser, c’est-à-dire parler au peuple au nom de Dieu (cf. Am 7,14-15). Cela arrive aussi aux disciples de Jésus qui les envoie « proclamer », c’est-à-dire annoncer l’Évangile comme lui, à sa place et en son nom. Jésus lui-même dira à ses envoyés : « Celui qui vous écoute m’écoute » (cf. Lc 10,16), voire « Qui vous accueille m’accueille » (cf. Mt 10,40). Aucun d’entre nous, disciples chrétiens du Christ, n’est appelé à l’être sans une mission particulière à accomplir : « vous serez alors mes témoins » (Actes 1,8).
Deuxièmement, alors que ce passage de l’Évangile fait référence au moment de l’envoi des disciples (« il commença à les envoyer »), on ne peut pas oublier la première action que le Seigneur demande à tous les disciples au moment de leur vocation dans le texte cité de Mc 3 ,14-15 :« [Jésus] il appela […], pour qu’ils soient avec lui (et pour les envoyer proclamer la Bonne Nouvelle avec le pouvoir d’expulser les démons) ». Être avec Jésus est l’action qui a la priorité absolue pour tout disciple envoyé en mission. Être avec le Christ pour l’écouter, l’observer, pour apprendre son langage et son agir, sera la première chose exigée au disciple, et ce n’est pas tant au niveau de l’ordre chronologique (rester d’abord avec Jésus et puis aller), mais sur le plan logique (mettre le “être “, c’est-à-dire la communion, avec Jésus avant tout et dans toute action, y compris dans aller).
Enfin, bien que cela ne soit pas explicité dans l’évangile d’aujourd’hui, Jésus a envoyé les Douze pour « prêcher » l’Évangile du Royaume (Mc 3,15). La prédication ne doit pas être comprise dans le sens moderne, parfois péjoratif, des longs discours moralisateurs et ennuyeux, mais plutôt comme l’annonce joyeuse des temps accomplis et du royaume de Dieu qui s’approche, ainsi que l’invitation à la conversion et à la foi dans l’Évangile. Tout comme Jésus l’a fait (cf. Mc 1,15) et comme nous le voyons dans la description des activités des messagers à la fin du passage d’aujourd’hui : « Ils partirent, et proclamèrent qu’il fallait se convertir. Ils expulsaient beaucoup de démons ». Il s’agit donc de l’annonce non seulement de paroles, mais aussi de signes concrets comme la chasse des démons avec la puissance divine que Jésus a transmise aux messagers. Dans cette perspective, l’annonce du Royaume par les disciples acquiert un caractère de témoignage du Royaume par des paroles et des actes. C’est pour cette raison que Jésus les envoyait toujours deux par deux, car dans la tradition judéo-biblique tout témoignage n’était valable qu’avec deux ou trois témoins (cf. Dt 19,15b ; Mt 18,16b).
- « Il leur prescrivit de ne rien prendre pour la route, mais seulement un bâton ». La force des « peu équipés » dans la mission !
En envoyant les siens en mission, Jésus leur ordonna curieusement de ne rien prendre sauf un bâton, une tunique et des sandales. Le fait, repris dans les autres évangiles, est véritablement intrigant et attire l’attention de nombreux biblistes. Cette recommandation de Jésus est encore plus radicale que cette forme de vie des philosophes cyniques itinérants de la même époque. Sans entrer dans une discussion trop académique sur chaque élément du “bagage” accordé ou non pour le voyage, prêtons plutôt attention à cette image générale du disciple-voyageur, vêtu d’une tunique, portant des sandales et avec un bâton à la main. C’est une image très fascinante par sa sobriété qui devient elle-même un signe spectaculaire et éloquent avant même toute prédication du Royaume !
Ainsi, cet état de simplicité, d’indigence, de sobriété souhaité pour le Royaume de la part les disciples missionnaires du Christ illustre et exalte encore le message principal à transmettre sur la complétude des temps et la proximité de Jésus avec le Royaume. Ces personnes envoyées mais peu équipées parlent déjà avec des signes extérieurs visibles, comme le faisaient les prophètes de Dieu dans l’Ancien Testament. Leur “désintérêt” pour les choses matérielles sera le signe que, comme le dira saint Paul, « le temps est limité ; (…) ceux qui profitent de ce monde, comme s’ils n’en profitaient pas vraiment. Car il passe, ce monde tel que nous le voyons ». (1Cor 7,29.31). Maintenant, il nous suffit de rechercher le Royaume et sa justice sans trop prêter attention à autres choses.
Ce sera alors aussi l’esprit des disciples du Christ qui acceptent d’être peu équipés pour la mission de Dieu, parce que Celui qui les a envoyés dans le monde est puissant. En effet, le Christ demande qu’ils soient peu équipés car il ne veut pas que les apôtres se forcent avec des moyens matériels, en leur faisant trop confiance, mais il veut aussi qu’ils apprennent à faire confiance dans la force de Dieu et du Christ qui les accompagne. De cette manière, “le succès” possible de leur travail dépendra uniquement du plan divin, et non des plans ou des stratégies humaines (cela pourrait aussi être entrevu dans l’interdiction explicite d’aller de maison en maison dans la mission dans Luc 10,7 comme conséquence de l’ordre de rester seul dans une maison de Mc, même s’il semble ici que le but soit d’éviter qu’ils perdent du temps et/ou recherchent indûment du confort).
- «…secouez la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage ». Laisse toujours un signe prophétique pour secouer la conscience
Voici enfin une mention du possible refus des habitants envers les missionnaires du Christ, comme cela se produit encore aujourd’hui. À cet égard, rappelons-nous ce que nous avons médité précédemment sur l’échec de Jésus dans sa patrie.
On constate en effet que directement après l’événement de Nazareth, « Jésus parcourait les villages d’alentour en enseignant ». Telle action, ou plutôt réaction au rejet, démontre toute sa ténacité et sa persévérance dans le fait d’annoncer l’Évangile du Royaume, signe de la force intérieure divine. Sera aussi la disposition d’esprit qu’il enseignera lui-même à ses disciples lorsqu’il les enverra en mission (cf. Mt 10, 23), parce qu’en réalité la vocation de tout prophète envoyé par Dieu sera semblable à celle d’Ézéchiel, à qui Dieu lui-même a dit: « Fils d’homme, je t’envoie vers les fils d’Israël […]. Alors, qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas – c’est une engeance de rebelles ! – ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux » (Ez 2,2-5 ; première lecture). Mais dans tout cela, le Seigneur sera toujours aux côtés de ses envoyés pour les rendre forts dans la mission qui leur est confiée.
Il fut demandé à ces disciples envoyés d’accomplir seulement une action curieuse, au cas où ils ne seraient pas entendus quelque part : « partez et secouez la poussière de vos pieds : ce sera pour eux un témoignage ». Il ne s’agit pas de claquer la porte avant de sortir pour exprimer toute la colère et le mécontentement, mais un dernier appel pour le Royaume, à travers un signe très ̏théâtral̋, comme les prophètes de Dieu autrefois avaient l’habitude de le faire sur Son ordre. Secouer la poussière sous ses pieds révèle, d’une part, la non-participation des disciples au péché du manque de foi des habitants de ce lieu, d’autre part, cet acte devient aussi un avertissement sévère qui sert à ébranler conscience endormie et désormais insensible à tout appel de Dieu. Cela pourrait servir d’exemple des choses créatives que chaque messager de Dieu est appelé à faire en transmettant son Évangile, en transmettant le message de Dieu qui l’a envoyé. Utiliser tous les moyens de manière créative pour promouvoir la cause de l’Évangile, comme insistait à son époque saint Maximilien Maria Kolbe dans la mission.
Prions donc à partir des paroles de l’apôtre saint Paul dans Eph 1,17-18 :
Que le Père de notre Seigneur Jésus-Christ éclaire les yeux de notre cœur pour nous faire comprendre à quelle espérance il nous a appelés, afin que nous puissions témoigner et transmettre à tous cette espérance du royaume de Dieu avec sagesse et créativité du Saint-Esprit, en particulier à ceux qui pour le moment ne sont pas encore prêts à accueillir l’Évangile donné dans le Christ Seigneur, qui vit et règne pour les siècles des siècles. Amen.
Pape François, Angélus, dimanche 15 juillet 2018
[…] Le passage évangélique s’arrête sur le style du missionnaire, que nous pouvons résumer en deux points: la Mission a un centre; la Mission a un visage.
Le disciple missionnaire a avant tout un centre de référence, qui est la personne de Jésus. Le récit l’indique en utilisant une série de verbes qui ont Jésus pour sujet — « il appelle », « il se mit à les envoyer en mission », « en leur donnant pouvoir », « il leur prescrivit », « il leur disait » (vv. 7.8.10) —, de sorte que le départ et l’action des Douze apparaît comme le rayonnement d’un centre, la reproposition de la présence et de l’œuvre de Jésus dans leur action missionnaire. Cela révèle combien les apôtres n’ont rien de personnel à annoncer, ni de capacités personnelles à démontrer, mais qu’ils parlent et agissent en tant qu’« envoyés », messagers de Jésus. […]
Aucun chrétien n’annonce l’Évangile « à son compte », mais seulement envoyé par l’Église qui a reçu le mandat du Christ lui-même. C’est précisément le baptême qui nous rend missionnaires. Un baptisé qui ne sent pas le besoin d’annoncer l’Évangile, d’annoncer Jésus, n’est pas un bon chrétien.
La deuxième caractéristique du style du missionnaire est, pour ainsi dire, un visage, qui consiste dans la pauvreté des moyens. Son équipement répond à un critère de sobriété. Les Douze, en effet, ont l’ordre «de ne rien prendre pour la route qu’un bâton seulement, ni pain, ni besace, ni menue monnaie pour la ceinture» (v. 8). Le Maître les veut libres et légers, sans appuis et sans faveurs, uniquement sûrs de l’amour de Celui qui les envoie, uniquement forts de sa parole qu’ils vont annoncer. […]
Pape François, Message pour la 60éme Journée mondiale de prière pour les vocations, 30 avril 2023, La vocation : grâce et mission
Appelés ensemble : convoqués
L’évangéliste Marc raconte le moment où Jésus appela à lui douze disciples, chacun par son nom. Il les constitua pour être avec lui et pour les envoyer prêcher, guérir les maladies et chasser les démons (cf. Mc 3,13-15). Le Seigneur a ainsi posé les fondements de sa nouvelle Communauté. Les Douze étaient des personnes issues de milieux sociaux et de professions différents, n’appartenant pas aux catégories les plus importantes. Les évangiles nous racontent ensuite d’autres appels, comme celui des soixante-douze disciples que Jésus envoya deux par deux (cf. Lc 10, 1).
L’Église est précisément l’ekklesía, terme grec qui signifie : assemblée de personnes appelées, convoquées, pour former la communauté des disciples missionnaires de Jésus-Christ, engagés à vivre son amour au milieu d’eux (cf. Jn 13, 34 ; 15, 12) et à le répandre parmi tous, pour que vienne le royaume de Dieu.
Dans l’Église, nous sommes tous des serviteurs et des servantes, selon des vocations, des charismes et des ministères différents. La vocation au don de soi dans l’amour, commune à tous, se déploie et se concrétise dans la vie des laïcs chrétiens, hommes et femmes, engagés dans la construction de la famille comme petite église domestique et dans le renouvellement des différents milieux de la société avec le levain de l’Évangile ; dans le témoignage des personnes consacrées, toutes données à Dieu pour leurs frères et sœurs comme prophétie du Royaume de Dieu ; dans les ministres ordonnés (diacres, prêtres, évêques) mis au service de la Parole, de la prière et de la communion du peuple saint de Dieu. Ce n’est que dans la relation avec toutes les autres que chaque vocation spécifique dans l’Église se révèle pleinement avec sa vérité et sa richesse propres. En ce sens, l’Église est une symphonie vocationnelle, avec toutes les vocations unies et distinctes dans l’harmonie et ensemble “en sortie” pour rayonner dans le monde la vie nouvelle du royaume de Dieu.
(Photo: Pexels.com / Jo Kassis)
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