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Le rejet de la Sagesse de Dieu dans la mission

Le rejet de la Sagesse de Dieu dans la mission
- Par le père Dinh Anh Nhue Nguyen, o.f.m. Conv., secrétaire général de l'Union pontificale missionnaire

14ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE (ANNÉE B)

Ez 2,2-5 ; Ps 122 ; 2 Co 12,7-10 ; Mc 6,1-6

 

Le rejet de la Sagesse de Dieu dans la mission

 

Nous avons aujourd’hui un épisode particulier de l’Évangile qui marque un tournant dans la mission de Jésus pour le Royaume de Dieu : le rejet de la part des habitants de « sa patrie », c’est-à-dire Nazareth. C’est le drame qui annonce et préfigure le grand rejet final, de la part des chefs religieux et du peuple de Jérusalem, du ministère de Jésus et de sa propre personne comme Christ, sagesse et puissance de Dieu. C’est le mystère, décrit de manière concise dans la profonde réflexion du Prologue de l’Évangile de Jean, précisément sur la mission salvifique du Verbe incarné de Dieu : « Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas reçu», mais « à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné de pouvoir devenir enfants de Dieu, eux qui croient en son nom » (Jn 1,11-12). Dans ce récit évangélique, trois détails significatifs peuvent être identifiés pour la mission d’évangélisation dans notre temps.

 

  1. « D’où cela lui vient-il ? Quelle est cette sagesse… et ces grands miracles… ? » L’image implicite du Christ, sagesse et puissance de Dieu, et le “scandale” à son égard

 

Les questions des habitants de Nazareth à l’égard de Jésus étaient véritablement piquantes, au point de provoquer un « scandale » à son égard : « N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie, et le frère de Jacques, de José, de Jude et de Simon ? Ses sœurs ne sont-elles pas ici chez nous ? » . Il faut noter dans ces mots d’identification une certaine forme de mépris dans la formule “fils de Marie”, ce qui est inhabituel dans la tradition biblique-juive, car normalement on disait “fils de + nom du père” pour identifier une personne. Par ailleurs, la mention des frères et surtout des sœurs de Jésus de manière générique implique plutôt ceux de la famille élargie, c’est-à-dire les cousins, selon la culture.

 

Ici ressort clairement la perplexité des auditeurs dans la synagogue, lesquels ne voulaient pas accueillir Jésus comme le Sage de Dieu, tout en reconnaissant la sagesse particulière “qui lui a été donnée” (sous-entendu par Dieu). Nous avons ici, d’une part, la reconnaissance presque explicite de la présence d’une sagesse pas commune en Jésus lors de son activité publique, qui va de pair avec la puissance des miracles, comme on le voit dans la deuxième partie de la question citée (« et ces grands miracles qui se réalisent par ses mains »?), et d’autre part, une question sur l’origine d’une telle sagesse puissante et extraordinaire et de la successive perplexité du peuple autour de la famille “insignifiante” de Jésus (cf. Mc 6,3 // Mt 13,55-56). Si l’on considère alors que le binôme sagesse-puissance fait écho des qualités du Messie en Is 11,2 (“sagesse-force/forteresse” ; « Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur : esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de force »), on peut observer ici l’intention de présenter Jésus comme le Messie, avec l’Esprit de Dieu qui possède une sagesse et une puissance extraordinaires. Sa sagesse est donc inexplicable, car divine, exprimée non seulement en paroles mais aussi en actions/merveilles.

 

Il convient de souligner que dans l’Évangile de Marc, le terme “sagesse” appliqué à Jésus n’apparaît qu’ici. Ce qui importe le plus à l’évangéliste est la question de l’identité de Jésus comme Messie, ou Christ, et Fils de Dieu, comme le suggère la première phrase de cet évangile (Mc 1,1 : « COMMENCEMENT DE L’ÉVANGILE de Jésus, Christ , Fils de Dieu ») et aussi par sa structure bipartite avec pour aboutissements deux confessions de foi (de Pierre et du centurion) sur ces deux identités : « Tu es le Christ » (Mc 8,29) et « cet homme était Fils de Dieu ! » (Mc 15,39). De ce point de vue, il convient de noter que tandis que d’autres s’étonnent et se scandalisent face à la sagesse de Jésus et à son enseignement, Lui disait : “Aucun prophète […] dans sa patrie”, et non “aucun sage/maître”. Bien sûr, il se peut qu’il citait un proverbe populaire pour commenter sa situation devant les habitants de Nazareth. On pourrait cependant y voir une certaine auto-identification de sa personne avec la figure d’un prophète. On en déduit que, étant reconnu comme le Maître Sage, Jésus se révèle comme le Maître-Prophète eschatologique qui indique au peuple avec sagesse et puissance les voies de Dieu à la fin des temps. L’évangéliste Luc, en racontant le même épisode dans la synagogue de Nazareth, montre Jésus qui, après avoir lu le passage d’Is 61,1-2 concernant la mission du prophète oint de l’Esprit du Seigneur, proclama l’accomplissement de l’Écriture Sainte dans sa propre personne (cf. Luc 4, 16-21).

 

  1. « Et là il ne pouvait accomplir aucun miracle ». L’étrange “limite” de la puissance du Christ et sa “réaction missionnaire”

 

Malgré tout ce qu’ils ont entendu et vu de Jésus, les habitants de Nazareth ne pouvaient pas croire en Jésus comme messager spécial de Dieu à cause de leur “trop” de connaissance de Lui. Ils n’ont pas pu dépasser leur vision “habituelle” de Jésus, cette vision humaine selon la chair, pour reprendre l’expression de saint Paul, même après avoir été “ étonnés” en l’écoutant ! Ils se sont bien enfermés dans leur “ancienne” connaissance de Jésus, même si ses paroles ont suscité quelque chose en eux. Ainsi, avec une certaine dose d’ironie, l’évangéliste note successivement que Jésus, ne pouvant pas accomplir quoi que ce soit, sauf quelques guérisons, « s’étonnait de leur incrédulité » littéralement de leur “non-foi” ou manque de foi. Tout cela sera même un avertissement pour nous tous croyants, qui pensons connaître Jésus mais en réalité nous ne le connaissons pas et nous restons souvent prisonniers paresseux de notre prétendue connaissance de Jésus, devenant nous-mêmes incapables de voir et d’accueillir les nouvelles merveilles de Dieu dans notre vie !

 

Dans le récit évangélique, apparaît clairement le rôle fondamental de la foi nécessaire avec laquelle l’homme s’ouvre à la grâce divine qui opère des miracles. En ce sens, Dieu tout-puissant et omniscient, qui agit à travers le Christ, aura paradoxalement aussi sa limite causée par la foi ou le manque de foi de l’homme. Comme l’a enseigné Pape François « Saint Augustin utilise à cet égard une très belle expression en disant : « Dieu t’a créé sans toi, il ne te sauvera pas sans toi» (Sermon 169, 13). Et ce n’est certainement pas parce qu’il n’en a pas la capacité — il est tout-puissant ! — mais parce que, étant amour, il respecte jusqu’au bout notre liberté. Dieu propose, il n’impose pas, jamais » (Angelus, 15 octobre 2023). Oui, dans le Christ, la grâce divine continue à pleuvoir abondamment sur tous, mais si quelqu’un ne sort pas de son confinement, il ne recevra même pas une goutte d’eau purificatrice.

 

  1. « Lorsque je suis faible, c’est alors que je suis fort » (2Co 12,10). Le mystère de la puissance du Christ pour et dans la mission

 

À la lumière de l’épisode évangélique analysé, nous pouvons comprendre de plus les paroles profondes et en même temps émouvantes de saint Paul dans 2 Cor 12,7-10 (deuxième lecture) sur ​la puissance du Christ qui se manifeste dans la faiblesse de l’apôtre, dans la vie et la mission d’évangélisation dans le monde. Cette faiblesse, la mystérieuse “épine” dans la chair, à laquelle l’apôtre fait référence dans sa lettre, peut être de nature physique ou psycho-spirituelle (une tentation ou un état d’esprit qui provoque une souffrance constante). En cela, nous pouvons sentir, en généralisant, le poids de toutes les limites insurmontables que l’apôtre rencontrait et auxquelles il faisait face dans sa vie et sa mission, y compris celles de l’incrédulité et même de l’iniquité de la part de ceux qui rejettent et luttent systématiquement contre l’annonce de l’Évangile du Christ.

On parle ici de l’expérience que le Christ lui-même a vécue dans son ministère pour le Royaume. Il a traversé cette situation de “faiblesse” dans la mission, rencontrant également des refus,  des échecs, comme cela s’est produit dans son pays natal. Mais tout cela ne l’a pas découragé dans la poursuite de son chemin missionnaire.

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On constate que directement après l’événement de Nazareth, « Jésus parcourait les villages d’alentour en enseignant ». Telle action, ou plutôt réaction au rejet, démontre toute sa ténacité et sa persévérance dans le fait d’annoncer l’Évangile du Royaume, signe de la force intérieure divine. Sera aussi la disposition d’esprit qu’il enseignera lui-même à ses disciples lorsqu’il les enverra en mission (cf. Mt 10, 23), parce qu’en réalité la vocation de tout prophète envoyé par Dieu sera semblable à celle d’Ézéchiel, à qui Dieu lui-même a dit : « Fils d’homme, je t’envoie vers les fils d’Israël […]. Alors, qu’ils écoutent ou qu’ils n’écoutent pas – c’est une engeance de rebelles ! – ils sauront qu’il y a un prophète au milieu d’eux » (Ez 2,2-5 ; première lecture). Mais dans tout cela, le Seigneur sera toujours aux côtés de ses envoyés pour les rendre forts dans la mission qui leur est confiée.

 

Rappelons pour conclure, l’enseignement du Pape François, notamment ses paroles aux missionnaires qui vivent la crise comme celle de Jésus dans sa patrie :

 

Aujourd’hui, comme autrefois, le Seigneur ressuscité est proche de ses disciples missionnaires, et il marche à leurs côtés, surtout lorsqu’ils se sentent perdus, découragés, effrayés face au mystère d’iniquité qui les entoure et qui veut les étouffer. C’est pourquoi « ne nous laissons pas voler l’espérance » (Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 86). Le Seigneur est plus grand que nos problèmes, surtout lorsque nous les rencontrons dans l’annonce de l’Évangile au monde, car cette mission, après tout, est la sienne et nous ne sommes que ses humbles collaborateurs, des “serviteurs inutiles” (cf. Lc 17, 10).

 

J’exprime ma proximité dans le Christ à tous les missionnaires du monde, en particulier à ceux qui traversent une période difficile : chers amis, le Seigneur ressuscité est toujours avec vous et il voit votre générosité et vos sacrifices pour la mission d’évangélisation dans les lieux les plus reculés. Les jours de la vie ne sont pas tous ensoleillés, mais souvenons-nous toujours des paroles du Seigneur Jésus à ses amis avant sa passion : « Dans le monde, vous avez à souffrir, mais courage ! Moi, je suis vainqueur du monde » (Jn 16, 33). (Message pour la 97ème Journée Mondiale des Missions 2023)

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Pape François, Angélus, Dimanche 8 juillet 2018

 

La page de l’Evangile d’aujourd’hui (Mc 6, 1-6) présente Jésus qui revient à Nazareth et, le jour du sabbat, il commence à enseigner à la synagogue. Depuis qu’il était parti et qu’il avait commencé à prêcher dans les bourgades et les villages alentours, il n’avait jamais plus remis les pieds dans sa patrie. Par conséquent, tout le village aura été présent pour écouter ce fils du peuple, dont la réputation de maître sage et de puissant guérisseur s’étendait maintenant à la Galilée et au-delà. Mais ce qui aurait pu être un succès, s’est transformé en rejet retentissant, au point que Jésus ne put plus y opérer aucun prodige, mais seulement quelques guérisons (cf. v. 5). La dynamique de cette journée est reconstruite en détail par l’évangéliste Marc : les gens de Nazareth écoutent tout d’abord et sont émerveillés ; puis ils se demandent, perplexes: «d’où cela lui vient-il?», cette sagesse?; et à la fin ils se scandalisent, en reconnaissant en lui le charpentier, le fils de Marie, qu’ils ont vu grandir (vv. 2-3). C’est pourquoi Jésus conclut par l’expression devenue proverbiale : « Un prophète n’est méprisé que dans sa patrie » (v. 4).

 

Nous nous demandons : comment se fait-il que les concitoyens de Jésus passent de l’émerveillement à l’incrédulité? Ils comparent l’humble origine de Jésus et ses capacités actuelles : c’est un charpentier, il n’a pas fait d’études, pourtant il prêche mieux que les scribes et fait des miracles. Et au lieu de s’ouvrir à la réalité, ils se scandalisent. Selon les habitants de Nazareth, Dieu est trop grand pour s’abaisser à parler à travers un homme si simple! C’est le scandale de l’incarnation : l’événement déconcertant d’un Dieu fait chair, qui pense avec un esprit d’homme, qui travaille et agit avec des mains d’homme, qui aime avec un cœur d’homme, un Dieu qui a des difficultés, qui mange et dort comme l’un de nous. Le Fils de Dieu renverse tout schéma humain : ce ne sont pas les disciples qui ont lavé les pieds du Seigneur, mais c’est le Seigneur qui a lavé les pieds des disciples (Jn 13, 1-20). C’est un motif de scandale et d’incrédulité, pas seulement à cette époque, à chaque époque, également aujourd’hui. […]

 

 

Pape François, Angélus, Dimanche, 4 juillet 2021

 

[…] A la fin, pourquoi les compatriotes de Jésus ne le reconnaissent-ils pas et ne croient pas en Lui ? Pourquoi ? Quel est le motif ? Nous pouvons dire, en quelques mots, qu’ils n’acceptent pas le scandale de l’Incarnation. Ils ne connaissent pas ce mystère de l’Incarnation, mais ils n’acceptent pas le mystère. Ils ne le savent pas, mais le motif est inconscient, et ils sentent qu’il est scandaleux que l’immensité de Dieu se révèle dans la petitesse de notre chair, que le Fils de Dieu soit le fils du charpentier, que la divinité se cache dans l’humanité, que Dieu habite dans le visage, dans les paroles, dans les gestes d’un homme simple. Voilà le scandale : l’incarnation de Dieu, le fait qu’il soit concret, sa « quotidienneté ». Et Dieu s’est fait concret dans un homme, Jésus de Nazareth, il s’est fait compagnon de route, il s’est fait l’un de nous. « Tu es l’un de nous » : le dire à Jésus, c’est une belle prière ! Et parce qu’il est l’un de nous, il nous comprend, il nous accompagne, il nous pardonne, il nous aime tant. En réalité, il est plus commode d’avoir un dieu abstrait, distant, qui ne s’immisce pas dans les situations et qui accepte une foi éloignée de la vie, des problèmes, de la société. Ou bien nous aimons croire à un dieu « à effets spéciaux », qui ne fait que des choses exceptionnelles et qui donne toujours de grandes émotions. Au contraire, chers frères et sœurs, Dieu s’est incarné : Dieu est humble, Dieu est tendre, Dieu est caché, il se fait proche de nous en habitant la normalité de notre vie quotidienne. Et alors, comme les compatriotes de Jésus, nous risquons de ne pas le reconnaître quand il passe. Je redis cette belle phrase de saint Augustin : « J’ai peur de Dieu, du Seigneur, quand il passe ». Mais Augustin, pourquoi as-tu peur ? « J’ai peur de ne pas le reconnaître. J’ai peur du Seigneur quand il passe. […]

 

(Photo: Pexels.com / Susanne Jutzeler)

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