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Pour un renouveau eucharistique et missionnaire

Pour un renouveau eucharistique et missionnaire
- Par le père Dinh Anh Nhue Nguyen, o.f.m. Conv., secrétaire général de l'Union pontificale missionnaire

21-ème DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE (ANNÉE B)

Jos 24,1-2a.15-17.18b; Ps 33; Ep 5,21-32; Jn 6,60-69

Pour un renouveau eucharistique et missionnaire

Nous concluons notre parcours de quatre réflexions sur le Sermon du Pain de la Vie, réalisé dans les trois derniers dimanches. Ainsi, le passage évangélique, qui sert d’épilogue après le Discours, nous raconte la réaction des disciples de Jésus face à l’enseignement de leur Maître concernant son Pain-sa Chair-son Sang. Ce qui s’est passé alors, après que Jésus avait dit « ces choses dans la synagogue, enseignant à Capernaüm » (Jn 6,59), reste encore aujourd’hui une leçon pertinente pour approfondir comment comprendre et vivre le mystère de l’Eucharistie que Jésus a révélée avec ses saintes paroles et avec sa vie offerte pour le monde. De ce point de vue, il y a trois moments significatifs dans le récit évangélique : le murmure des disciples, la révélation ultérieure de Jésus et la belle confession de Pierre au nom des Douze.

  1. 1. Le murmure des disciples

Il est curieux de constater que la réaction de « beaucoup de ses disciples » aux paroles de Jésus est identique à celle des Juifs auparavant : « ils murmuraient », comme l’a souligné l’évangéliste en utilisant le même mot pour ces deux groupes (cf. Jn 6,41.61). En effet, ces disciples-murmurateurs ont exprimé leur perplexité avec des paroles encore plus fortes que celles que pouvaient exprimer jusqu’alors les Juifs, adversaires permanents de Jésus : « Cette parole est dure ! Qui peut l’écouter ?». Il s’agit non seulement d’une critique impitoyable du contenu de la “parole” prononcée, mais elle est également qualifiée de “dure”, c’est-à-dire incompréhensible et impraticable. En outre, en conséquence, un rejet total de Jésus, qui parlait en ces termes “terribles”, se décréte à travers une question rhétorique. Ainsi, ironiquement, face à cette révélation et à d’autres de Jésus, concernant l’entrée dans la vie nouvelle et vraiment divine, l’opposition plus forte se trouve plus souvent parmi les “disciples”, ceux qui suivent Jésus et partagent avec lui le pain quotidien.

De toute façon, il faut comprendre la raison de la réaction véhémente des disciples. Rappelons ce qui a été souligné précédemment concernant l’inadmissibilité de la recommandation de boire du “sang” pour un juif. Selon la tradition biblico-juive, dans le sang réside la vie de tout être vivant (cf. Lv 17,10-14). Il en dérive l’interdiction de manger avec du sang [cf. Gen 9.4 : Seulement, vous ne mangerez point de chair avec sa vie, c’est à dire avec son sang»] et donc la stupéfaction des auditeurs, puisque Jésus ne parle pas de boire du vin en référence à son sang, mais directement de boire son sang! En outre, cette perplexité/protestation pourrait se mêler à celle des Juifs, exprimée précédemment contre la prétention de Jésus d’être “descendu du ciel”, c’est-à-dire contre le mystère de la Parole-Sagesse de Dieu qui s’est faite “chair” pour être alors “offerte” en sacrifice total comme nourriture céleste-divine pour l’humanité. À tel point que, répondant à cette perplexité, Jésus lui-même nous invite à contempler l’origine céleste du Fils de l’homme qui est désormais lui, à rentrer dans la dynamique de la foi : « Cela vous scandalise-t-il ? Et quand vous verrez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant ?».

  1. 2. La révélation ultérieure de Jésus sur son offrande de Pain-Chair-Sang. Le rôle de l’Esprit vivifiant

Poursuivant le dialogue patient avec les disciples “murmurateurs” après l’invitation à reconnaître l’origine céleste du Fils de l’homme, Jésus indique la clé pour comprendre et vivre pleinement le mystère de l’Eucharistie qu’il offre : l’Esprit de Dieu. Il déclare : « C’est l’esprit qui vivifie; la chair ne sert de rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie » (Jn 6, 63). Il convient de noter que le terme “chair” utilisé ici ne fait très probablement pas référence à la “Chair” du Christ mentionnée plus tôt dans le discours. Il désigne simplement, comme dans son sens premier, l’existence physique, c’est-à-dire celle qui appartient au domaine terrestre-humain, caduc et transitoire, clairement distincte du monde divin-spirituel (cf. Jn 3,6 ; 6,63 ; aussi 8,15 ; 17,2). Le mot forme donc avec “ esprit “ un couple antithétique, utilisé très fréquemment dans la tradition biblique. Rappelons par exemple l’exhortation de Jésus aux disciples “endormis” de Gethsémani : « Veillez et priez, afin que vous ne tombiez pas en tentation; l’esprit est bien disposé, mais la chair est faible»(Mc 14,38). En outre, il convient de rappeler l’observation de Jésus dans son enseignement à Nicodème sur le mystère du baptême, ou de la naissance d’eau et d’Esprit, pour une vie nouvelle en Dieu : « Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit» (Jn 3, 6).

On entrevoit ensuite le même contraste entre esprit et chair dans l’explication de Jésus sur la réalité de l’Eucharistie. Ici aussi, pour comprendre et vivre le mystère eucharistique, les disciples sont invités à s’ouvrir à l’Esprit de Dieu. Ils sont appelés à conformer leur esprit à l’Esprit divin, lequel est présent dans les paroles vivifiantes de Jésus au point de s’identifier à elles: « Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie». De là émergent deux aspects fondamentaux pour accueillir le don de l’Eucharistie de Jésus. Tout d’abord, on souligne une fois le rôle de la Parole de Jésus, qui est vie pour ceux qui l’accueillent. Le Pain de la Vie que Jésus offre est son enseignement, ses voies à suivre, puisque lui-même est le Chemin, la Vérité et la Vie. Il est donc nécessaire d’accueillir ensemble le don de sa Parole et de son Corps-Sang pour vivre pleinement la sainte communion du Pain eucharistique de Jésus. Deuxièmement, en recevant Jesus eucharistique “complète”, nous sommes appelés à le faire dans l’Esprit et non selon la chair. À tout moment et en tout lieu, il existe – et comment ! – le risque réel pour les disciples de “ pratiquer” les choses divines, notamment l’Eucharistie, avec une mentalité mondaine, humaine, terrestre. Il y a le risque de traiter la communion avec Jésus Eucharistique seulement comme quelque chose de “magique” ou, à l’autre extrême, de le faire par routine, sans cœur, sans esprit. D’où le rappel de saint François d’Assise : « C’est donc l’Esprit du Seigneur, qui habite dans ses fidèles, qui reçoit le tres saint corps et le sang du Seigneur. Tous les autres, qui n’ont pas le même esprit et prétendent le recevoir, mangent et boivent leur condamnation (1Cor 11,29)» (Admonition 1).

  1. 3. La belle confession de Pierre au nom des Douze

Revenant à l’épisode de l’Evangile, malgré les explications de Jésus sur le mystère, « à partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en allèrent et cessèrent de marcher avec lui». Cela semble indiquer un véritable endurcissement du cœur de la part de ces “nombreux disciples”. Il marque un moment crucial dans la mission de Jésus, la crise dite de Galilée ou crise galilaïque, qui annonce et préfigure la crise de Jérusalem, quand tous L’abandonneront pendant sa passion. Ce qui s’est passé devient ainsi un avertissement pour tous ses disciples de tous les temps, afin qu’ils se renouvellent toujours, et encore aujourd’hui, dans l’Esprit et dans la docilité du cœur face aux révélations de Jésus, se laissant constamment guider par ses Paroles de vie et par son Esprit vivifiant, particulièrement dans les moments de crise. À cet égard, le Catéchisme de l’Église catholique commente :

La première annonce de l’Eucharistie a divisé les disciples, tout comme l’annonce de la Passion les a scandalisés: « Ce langage-là est trop fort! Qui peut l’écouter? » (Jn 6, 60). L’Eucharistie et la croix sont des pierres d’achoppement. C’est le même mystère, et il ne cesse d’être occasion de division. « Voulez-vous partir, vous aussi? » (Jn 6, 67): Cette question du Seigneur retentit à travers les âges, invitation de son amour à découvrir que c’est Lui seul qui a « les paroles de la vie éternelle » (Jn 6, 68) et qu’accueillir dans la foi le don de son Eucharistie, c’est l’accueillir lui-même. (CEC 1336)

Ça me touche la question de Jésus à cette occasion : «Voulez-vous partir, vous aussi? » (Jn 6,67). Ces paroles de Jésus, bien qu’elles puissent être interprétées comme une “provocation”, révèlent toute sa magnanimité et son profond respect pour la liberté de ses disciples. Ils prouvent qu’il était bien le divin Maître venu du ciel, puisque les maîtres du monde, dans une situation similaire, auraient probablement demandé aux quelques disciples restants de jurer la fidélité !

La réponse de Pierre à la question ouverte de Jésus s’avère tout aussi émouvante : « Seigneur, vers qui pourrions-nous aller? Tu as les paroles de la vie éternelle. Quant à nous, nous croyons, et nous savons que tu es le Saint, le Saint de Dieu» (Jean 6 :68-69). Le sujet de la phrase étant au pluriel (nous), on percoit une confession de foi de Pierre au nom des Douze, mentionnés ici pour la première fois en tant que groupe dans l’Évangile de Jean. D’une part, la foi se renouvelle dans les Paroles de Jésus, qui donnent la vie éternelle, et dans sa personne comme “Saint de Dieu”, ou “Consacré de Dieu”. D’autre part, c’est aussi une profession de fidélité : l’engagement à suivre toujours et en toute circonstance Jésus, leur unique Seigneur et Maître, comme l’ont fait Josué et le peuple élu en Jos 24, lorsqu’ils ont décidé de ne servir que Dieu dans leur vie (première lecture).

D’un point de vue théologique, cette foi et cette fidélité de Pierre, ainsi que des Douze, sont certainement à ce moment-là inspirées par l’Esprit de Dieu, comme l’enseignera saint Paul Apotre (cf. 1 Co 12,3 : « nul ne peut dire: “Jésus est le Seigneur”, si ce n’est par le Saint-Esprit»). De façon  significative, cette profession de foi devient un acte nécessaire pour entrer dans le mystère de Jésus-Eucharistie, pour le comprendre et le vivre dans l’Esprit. Celle-ci reste à jamais cette action et cette attitude indispensable pour tout disciple, appelé à s’exprimer et à se renouveler continuellement face au don sublime, insondable et inépuisable du Pain-Chair-Sang de Jésus, offert pour la vie du monde. Ce renouveau de la vraie foi et de la vie eucharistique des disciples du Christ conduira certainement à un renouveau d’esprit et de zèle pour continuer, avec le Christ Maître et Seigneur, la mission d’évangélisation dans le monde.

Pape François, Message pour la 98ème Journée mondiale des missions 2024 « Allez et invitez tout le monde à la noce » (cf. Mt 22, 9)

Cette plénitude de vie, don du Christ, est anticipée dans le banquet de l’Eucharistie que l’Église célèbre à la demande du Seigneur, en mémoire de lui. Ainsi, l’invitation au banquet eschatologique que nous apportons à chacun dans la mission évangélisatrice est intrinsèquement liée à l’invitation à la table eucharistique où le Seigneur nous nourrit de sa Parole, de son Corps et de son Sang. Comme l’a enseigné Benoît XVI, « en toute célébration eucharistique se réalise sacramentellement le rassemblement eschatologique du Peuple de Dieu. Le banquet eucharistique est pour nous une réelle anticipation au banquet final, annoncé par les prophètes (cf. Is 25, 6-9) et décrit dans le Nouveau Testament comme “les noces de l’Agneau” (Ap 19, 7-9) qui doivent être célébrées dans la joie de la communion des saints » (Exhort. ap. post-synodale Sacramentum Caritatis, n. 31).

Par conséquent, nous sommes tous appelés à vivre plus intensément chaque Eucharistie dans toutes ses dimensions, en particulier dans ses dimensions eschatologique et missionnaire. Je répète à ce propos que « nous ne pouvons pas nous approcher de la Table eucharistique sans nous laisser entraîner dans le mouvement de la mission qui, prenant naissance dans le Cœur même de Dieu, veut rejoindre tous les hommes » (ibid., n. 84). Le renouveau eucharistique, que de nombreuses Églises locales encouragent de manière louable dans la période post-Covid, sera fondamental pour réveiller l’esprit missionnaire en chaque fidèle. Avec combien plus de foi et d’élan du cœur, dans chaque Messe, devrions-nous prononcer l’acclamation : « Nous annonçons ta mort, Seigneur Jésus, nous proclamons ta résurrection, nous attendons ta venue dans la gloire » !

Dans cette perspective, en cette année consacrée à la prière pour la préparation du Jubilé de 2025, je voudrais inviter chacun à intensifier, aussi et surtout, la participation à la Messe et la prière pour la mission évangélisatrice de l’Église. Celle-ci, obéissant à la parole du Sauveur, ne cesse d’élever vers Dieu, dans chaque célébration eucharistique et liturgique, la prière du Notre Père avec l’invocation « Que ton règne vienne ». Ainsi, la prière quotidienne, et en particulier l’Eucharistie, fait de nous des pèlerins-missionnaires de l’espérance, en marche vers la vie sans fin en Dieu, vers le banquet nuptial préparé par Dieu pour tous ses enfants.

Pape François, Message pour la 97ème Journée mondiale des missions 2023 « Des cœurs brûlants, des pieds en marche » (cf. Lc 24, 13-35)

  1. Des yeux qui “s’ouvrirent, et le reconnurent” à la fraction du pain. Jésus dans l’Eucharistie est le sommet et la source de la mission.

[…] À cet effet, il faut rappeler qu’une simple fraction de pain matériel avec les affamés au nom du Christ est déjà un acte missionnaire chrétien. À plus forte raison, la fraction du Pain eucharistique qui est le Christ Lui-même est l’action missionnaire par excellence, car l’Eucharistie est la source et le sommet de la vie et de la mission de l’Église.

Le Pape Benoît XVI l’a rappelé : « Nous ne pouvons garder pour nous l’amour que nous célébrons dans le Sacrement [de l’Eucharistie]. Il demande de par sa nature d’être communiqué à tous. Ce dont le monde a besoin, c’est de l’amour de Dieu, c’est de rencontrer le Christ et de croire en Lui. C’est pourquoi l’Eucharistie n’est pas seulement source et sommet de la vie de l’Église; elle est aussi source et sommet de sa mission: “Une Église authentiquement eucharistique est une Église missionnaire” » (Exhort. ap. Sacramentum caritatis, n. 84).

Pour porter du fruit, nous devons rester unis à Lui (cf. Jn 15, 4-9). Et cette union se réalise par la prière quotidienne, surtout dans l’adoration, en restant en silence en présence du Seigneur qui reste avec nous dans l’Eucharistie. En cultivant avec amour cette communion avec le Christ, le disciple missionnaire peut devenir un mystique en action. Que notre cœur aspire toujours à la compagnie de Jésus, en murmurant la demande ardente des deux hommes d’Emmaüs, surtout quand vient le soir : “Reste avec nous, Seigneur !” (cf. Lc 24, 29).

 

 

(Photo: Pexels.com /MH Shan)

 

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