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La mission de la réconciliation en Christ

La mission de la réconciliation en Christ
- Par le père Dinh Anh Nhue Nguyen, o.f.m. Conv., secrétaire général de l'Union pontificale missionnaire

23ÈME DIMANCHE DU TEMPS ORDINAIRE (ANNÉE A)

Ez 33,7-9; Ps 94; Rm 13,8-10; Mt 18,15-20

La mission de la réconciliation en Christ

L’évangile de ce dimanche offre un enseignement sur la correction fraternelle entre les membres de la communauté des fidèles du Christ. Il s’agit d’indications concrètes à l’intérieur du « Discours ecclésial » du chapitre 18, dans lequel l’évangéliste Matthieu rassemble les enseignements de Jésus concernant les relations entre frères et sœurs de la communauté. Les paroles entendues aujourd’hui sont très claires et indiquent des pas concrets à réaliser, presque comme si c’était une loi à appliquer dans chaque cas spécifique. “Si ton frère a commis un péché contre toi”. Ainsi ces paroles ne doivent pas être ignorées (il serait trop compliqué de parler avec quelqu’un avec qui on a déjà une relation difficile) ni adoptées de manière injuste (en les utilisant pour un règlement de compte personnel). L’ensemble doit être interprété de manière juste, en prenant en compte le contexte littéraire et spirituel de ces mêmes indications, à partir de l’importante déclaration de Jésus à la fin du passage sur sa présence au milieu des disciples réunis en son nom.

  1. « Quand deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis là, au milieu d’eux». Le principe de la présence constante du Christ parmi ses disciples.

Il s’agit de la vérité théologique que Jésus a soulignée à la fin du commandement sur la correction fraternelle. Elle éclaire donc tout le processus que Jésus a recommandé à ses disciples. En elle-même, cette déclaration finale de Jésus fait référence aux paroles de l’ange à Saint Joseph au début de l’évangile de Matthieu concernant l’identité du Messie à naître qui sera l’Emmanuel – Dieu avec nous. D’un autre côté, elle renvoie aussi à la dernière affirmation de Jésus réssuscité adressée aux disciples, après les avoir envoyés en mission dans le monde entier : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28,20b). Cela souligne la présence du Christ parmi ses disciples dans leur vie et dans leur mission, là aussi où seulement deux ou trois sont réunis en son nom.

Pour approfondir, il faut se rappeler l’expression presque parallèle dans la tradition rabbinique ; « si deux sont ensemble, occupés aux paroles de la Torah, la shekinah habite parmi eux » (m.Abot 3,2). Ici, la shekinah indique la présence immanente de Dieu dans le monde, dans un fort lien avec la vision biblique juive de la demeure divine dans le peuple. Le parallèle de ces deux expressions, celle de Jésus et celle des rabbins, permet de suivre deux correspondances significatives sur le plan du contenu ; Jésus avec la Torah (Loi) et la présence de Jésus avec la présence divine.

À ce propos, les paroles de Jésus arrivent après l’instruction de Mt 18, 19-20 (« si deux d’entre vous sur la terre se mettent d’accord pour demander quoi que ce soit, ils l’obtiendront de mon Père qui est aux cieux »). Cette dernière éclaire et clarifie, en l’espèce, la présence promise de Jésus. En effet, les mots affirment d’abord l’efficacité de la prière en commun, c’est-à-dire au moins entre deux ! Donc, le fait de se réunir à « deux ou trois » fait référence surtout à un rassemblement pour « prier le Père » ou plus généralement pour le culte, comme il est suggéré dans le terme « en mon nom ». La présence de Jésus au milieu des personnes réunies en son nom aura une forte dimension cultuelle ou « liturgique » tournée vers le Père. Jésus sera présent non seulement pour recevoir louange et adoration, mais surtout pour prier le Père avec eux. C’est sa présence, et rien d’autre, qui garantit l’écoute du Père. C’est également la perspective de certains déclarations dans l’évangile de Jean : « tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera » (cf. Jn 15,16; 16,23.24.26).

Donc, on ne parle pas ici d’un présence statique mais bien plutôt dynamique. Comme pour la shekinah, Jésus sera présent au milieu des fidèles, mais maintenant avec la mission précise de marcher avec eux pour leur assurer la grâce et la bienveillance du Père. Ce principe de la présence dynamique de Jésus avec ses disciples dans leur vie et dans leur mission sera particulièrement fondamental pour celui qui aura la tâche/le devoir délicat et pas simple de « corriger » le frère pour la « faute » commise. Lorsque nous, deux ou trois ou toute l’église-communauté, nous réunissons, le faisons-nous en son nom ou en notre nom propre ? Est-ce que nous laissons vraiment Jésus venir et agir en nous ?

  1. « S’il t’écoute, tu as gagné ton frère». La correction fraternelle dans la mission de réconciliation.

Ce qui est relevé ci-dessus nous montre le véritable esprit dans lequel il nous faut appliquer les pas concrets de la correction fraternelle. Il faut la pratiquer, lorsque c’est nécessaire, mais toujours comme le Christ bon pasteur, c’est-à-dire avec amour, douceur et humilité (la parabole du bon pasteur est rapportée par l’évangéliste Matthieu juste avant les indications sur la correction). Saint Paul sera encore plus explicite, en mentionnant la douceur dans les fruits de l’Esprit dans le vie nouvelle et en suggérant aux fidèles Galates : « Frères, si quelqu’un est pris en faute, vous, les spirituels, remettez-le dans le droit chemin en esprit de douceur ; mais prenez garde à vous-mêmes : vous pourriez être tentés, vous aussi. Portez les fardeaux les uns des autres : ainsi vous accomplirez la loi du Christ ». (Gal 6,1-2).

Sur la même piste on retrouve l’enseignement du même apôtre aux fidèles romains dans Rm 13,8-10 (la seconde lecture) : « Frères, n’ayez de dette envers personne, sauf celle de l’amour mutuel, car celui qui aime les autres a pleinement accompli la Loi ». Et il conclut avec des paroles éclairantes pour notre réflexion : « L’amour ne fait rien de mal au prochain. Donc, le plein accomplissement de la Loi, c’est l’amour ». Ainsi, la correction fraternelle, celle entre frères en Christ, n’a pas et ne doit pas avoir d’autre motivation que la charité fraternelle. Elle ne sort pas et ne doit pas sortir du cadre de cette charité fraternelle qui « ne fait rien de mal au prochain ».

Donc, la correction fraternelle se pratique dans la réconciliation en Christ. En d’autres termes, la correction fraternelle se déroule dans le contexte large de la réconciliation constante avec Dieu en Christ, parce que le fait de se réconcilier entre frères est intrinsèquement lié avec le fait de se réconcilier avec Dieu. On parle de la mission de réconciliation pour le monde entier vers qui le Christ a envoyé ses disciples-missionnaires. Chaque disciple du Christ, que ce soit celui qui corrige ou celui qui est corrigé, écoute et prend à cœur cette réflexion profonde avec l’invitation de saint Paul : « Car c’est bien Dieu qui, dans le Christ, réconciliait le monde avec lui : il n’a pas tenu compte des fautes, et il a déposé en nous la parole de la réconciliation. Nous sommes donc les ambassadeurs du Christ, et par nous c’est Dieu lui-même qui lance un appel : nous le demandons au nom du Christ, laissez-vous réconcilier avec Dieu » (2Cor 5,19-20)

  1. « À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples : si vous avez de l’amour les uns pour les autres» (Jn 13,35). Le principe de l’amour entre les disciples pour la crédibilité de la mission.

Dans cette perspective, nous comprenons encore mieux le sens « missionnaire » de chaque action de correction et de réconciliation fraternelle. Il s’agit d’être unis dans l’amour pour la crédibilité de la mission d’évangélisation et de réconciliation du Christ et de l’église-communauté de ses disciples missionnaires. C’est pour ça que Jésus a tellement insisté sur l’amour mutuel parmi les siens, en le définissant comme son commandement nouveau et en soulignant son importance comme témoignage de l’adhésion à Lui devant tous les hommes ; « À ceci, tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples ». C’est Lui qui a prié le Père pour tous les siens, dans le présent et dans le futur ; « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17,21). Que chacun de nous, ses disciples, ressente le cœur du Christ pour l’unité de l’amour et ait toujours à l’esprit ce désir du Maître dans chaque action !

Concluons avec les paroles de saint Paul aux fidèles de Thessalonique. Elle sont pour nous ses disciples-missionnaires d’aujourd’hui, même au milieu des corrections nécessaires du fait de notre faiblesse humaine : « Que le Seigneur vous donne, entre vous et à l’égard de tous les hommes, un amour de plus en plus intense et débordant, comme celui que nous avons pour vous. Et qu’ainsi il affermisse vos cœurs, les rendant irréprochables en sainteté devant Dieu notre Père, lors de la venue de notre Seigneur Jésus avec tous les saints ». (1Th 3,12-13).

PAPE FRANÇOIS, Audience générale, mercredi 3 novembre 2021

[…] Il est bon de se demander ce qui nous pousse à corriger un frère ou une sœur, et si nous ne sommes pas en quelque sorte coresponsables de son erreur. L’Esprit Saint, en plus de nous faire le don de la douceur, nous invite à la solidarité, à porter les fardeaux des autres. Combien de fardeaux existent-ils dans la vie d’une personne : maladie, manque de travail, solitude, douleur… ! Et tant d’autres épreuves qui nécessitent la proximité et l’amour de nos frères et sœurs ! Les paroles de Saint Augustin peuvent également nous aider lorsqu’il commente ce même passage : « Ainsi donc, frères, si quelqu’un est pris en défaut, […] corrigez-le de cette manière, avec douceur. Et si vous élevez la voix, aimez intérieurement. Soit que tu encourages, que tu te montres paternel, soit que tu reprennes, que tu sois sévère, aime » (Sermons 163/B 3). Aime toujours. La règle suprême de la correction fraternelle est l’amour : vouloir le bien de nos frères et sœurs. Et il s’agit aussi de tolérer les problèmes des autres, les défauts des autres en silence dans la prière, pour ensuite trouver la méthode adéquate pour l’aider à se corriger. Et ce n’est pas facile. Le moyen le plus simple c’est le bavardage. Raconter des ragots sur l’autre personne [l’éplucher] comme si moi j’étais parfait. Et on ne devrait pas faire comme cela. Douceur. Patience. Prière. Proximité.

PAPE FRANÇOIS, Angélus, dimanche 6 septembre 2020

L’Evangile de ce dimanche (cf. Mt 18, 15-20) est tiré du quatrième discours de Jésus dans le récit de Matthieu, connu comme discours “communautaire” ou “ecclésial”. Le passage parle de la correction fraternelle, et nous invite à réfléchir sur la double dimension de l’existence chrétienne : la dimension communautaire, qui exige la protection de la communion, c’est-à-dire l’unité de l’Eglise, et la dimension personnelle, qui impose de l’attention et du respect pour toute conscience individuelle.

Pour corriger son frère qui a commis une faute, Jésus suggère une pédagogie du rattrapage. La pédagogie de Jésus est toujours une pédagogie du rattrapage; Il cherche toujours à récupérer, à sauver. Et cette pédagogie du rattrapage est articulée en trois passages. Il dit en premier lieu : «Va le trouver et reprends-le, seul à seul» (v. 15), c’est-à-dire sans faire étalage de son péché. Il s’agit d’aller voir son frère discrètement, non pour le juger mais pour l’aider à se rendre compte de ce qu’il a fait. […]

Cependant, il peut arriver que, malgré mes bonnes intentions, la première intervention échoue. Dans ce cas, il est bon de ne pas renoncer et de ne pas dire: “Qu’il se débrouille, je m’en lave les mains”. Non, cela n’est pas chrétien. Ne pas renoncer, mais avoir recours au soutien d’un autre frère ou d’une autre sœur. Jésus dit: «S’il ne t’écoute pas, prends encore avec toi un ou deux autre, pour que toute l’affaire soit décidée sur la parole de deux ou trois témoins.» (v. 16). C’est un précepte de la loi mosaïque (cf. Dt 19,15). Bien que cela puisse sembler être contre l’accusé, cela servait en réalité à le protéger de faux accusateurs. Mais Jésus va plus loin : les deux témoins sont sollicités non pas pour accuser et juger, mais pour aider. […] Jésus envisage en effet que cette approche – la deuxième approche – avec les témoins puisse également échouer, à la différence de la loi mosaïque, pour laquelle le témoignage de deux ou trois était suffisant pour la condamnation.

En effet, même l’amour de deux ou trois frères peut être insuffisant, parce qu’il ou elle est têtu. Dans ce cas – ajoute Jésus –, «dis-le à la communauté» (v. 17). Dans certaines situations, toute la communauté est impliquée. Il y a des choses qui ne peuvent pas laisser les autres frères indifférents: il faut un amour plus grand pour retrouver ce frère. Mais parfois, cela peut ne pas suffire. Jésus dit: «Et s’il refuse d’écouter même la communauté, qu’il soit pour toi comme le païen et le publicain» (ibid.). Cette expression, en apparence si méprisante, invite en réalité à remettre ce frère entre les mains de Dieu: seul le Père pourra montrer un amour plus grand que celui de tous les frères rassemblés. […] C’est l’amour de Jésus, qui a accueilli des publicains et des païens, en scandalisant les bien-pensants de l’époque. Il ne s’agit cependant pas d’une condamnation sans appel, mais de reconnaître que parfois, nos tentatives humaines peuvent échouer, et que seul le fait de se trouver devant Dieu peut mettre notre frère face à sa conscience et à la responsabilité de ses actes. Si ça ne marche pas, silence et prière pour le frère ou pour la sœur qui se trompent, mais jamais de médisances.

 

(Photo: Pexel.com / RDNE Stock project)

 

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