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La « mission » du Christ en « terre étrangère » de Samarie

La « mission » du Christ en « terre étrangère » de Samarie
3e dimanche de Carême (Année A)
- Par le père Dinh Anh Nhue Nguyen, o.f.m. Conv., secrétaire général de l'Union pontificale missionnaire

3ÈME DIMANCHE DE CARÊME (ANNÉE A)

Ex 17,3-7; Ps 94; Rm 5,1-2.5-8; Jn 4,5-42

Aujourd’hui, ne fermez pas votre cœur, mais écoutez la voix du Seigneur !

La « mission » du Christ en « terre étrangère » de Samarie

Ce troisième dimanche de Carême du cycle année A est appelé le dimanche de la Samaritaine. Ce passage doit être mis en relation avec ceux que nous écouterons les deux prochains dimanches (la guérison de l’aveugle-né et la résurrection de Lazare) et ouvre de cette manière le triptyque du Carême pour une découverte du don du baptême. Ainsi « ces trois dimanches ont pour thème principal la manière dont la foi peut être continuellement renforcée malgré le péché (la Samaritaine), l’ignorance (l’Aveugle-né) et la mort (Lazare). Ce sont ces « déserts » que nous sommes appelés à traverser au cours de notre vie, et où nous découvrons que nous ne sommes pas seuls, parce que Dieu est avec nous » (Directoire sur l’homélie, 69).

Gardant à l’esprit un tel cadre liturgique ainsi que la richesse du long passage évangélique d’aujourd’hui, entrons dans quelques détails qui nous aident à approfondir le mystère de la mission du Christ pour raviver notre foi en Lui et notre zèle missionnaire, pour “marcher sur ses pas”.

  1. « Il lui fallait traverser la Samarie ». L’étrange contexte du voyage de Jésus.

La rencontre entre Jésus et la Samaritaine s’est déroulée dans un contexte très étrange, comme le montre le récit biblique. Tout d’abord, avant le moment où « Jésus arriva à une ville de Samarie, appelée Sykar », selon ce que signale l’évangéliste, « il quitta la Judée pour retourner en Galilée. Or, il lui fallait traverser la Samarie » (Jn 4,3-4). Ce “fallait” de Jésus ne semble pas indiquer une nécessité “géographique” du voyage, car il était possible d’aller de la Judée à la Galilée par un autre itinéraire, celui longeant le Jourdain. Par conséquent, le verbe pourrait indiquer davantage une nécessité théologico-spirituelle, conformément à l’utilisation fréquente du terme dans l’Évangile de Luc pour souligner l’accomplissement du plan divin dans la vie et dans la mission de Jésus. En d’autres mots, Jesus maintenant “devait” passer par la Samarie, non par des circonstances fatales, mais pour suivre le chemin de la mission tracé par le Père, celui qui l’avait envoyé. Il s’agit donc d’une « incursion missionnaire », de la part de Jesus avec ses disciples dans la terre « étrangère » des Samaritains, car, comme l’explique l’Évangile, « en effet, les Juifs ne fréquentent pas les Samaritains ».

De cette manière, l’étrange rencontre avec la Samaritaine au puits de Jacob est bien (presque) contemplée comme le point central de la mission, même si tout semblait arriver par hasard : Jésus fatigué « assis près de la source. C’était la sixième heure, environ midi », et là « arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l’eau ». Comme on le sait, le “midi” dans ces régions est l’heure la plus chaude de la journée et par conséquent personne n’allait puiser de l’eau en ces heures.  Le sachant, elle se rendit au puits à ce moment-là pour éviter de rencontrer des gens (peut-être pour s’épargner les rumeurs sur sa vie privée), pendant que Jésus savait et donc il s’arrêta là précisément pour rencontrer la femme pour une conversation réservée dans une occasion unique.

Dans la vie et dans la mission de Jésus, l’envoyé du Père, rien n’arriva par hasard. Chaque rencontre arrivait selon le plan de salut de Dieu pour les personnes que Jésus rencontrait. Ainsi, chaque occasion était pour Jésus le bon moment pour parler du Royaume, annoncer la bonne nouvelle de Dieu, rapprocher les personnes de l’amour divin. Et Il était bien conscient d’une telle mission à plein temps selon la volonté de Dieu Père et de sa “responsabilité” envers chaque personne rencontrée, considérée par lui comme un don de Dieu. Cela se voit dans sa déclaration plus en avant dans l’Évangile de Jean : « Tous ceux que me donne le Père viendront jusqu’à moi ; et celui qui vient à moi, je ne vais pas le jeter dehors. Car je suis descendu du ciel pour faire non pas ma volonté, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé. Or, telle est la volonté de Celui qui m’a envoyé : que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés, mais que je les ressuscite au dernier jour » (Jn 6,37-39).

Ce sera peut-être aussi le cas de ses disciples missionnaires. Dans leur vie, il n’y aura rien par hasard. Chaque rencontre avec des personnes sera toujours une bonne occasion d’entrer en contact avec elles et de transmettre le message de l’amour de Dieu et de l’Évangile du Christ dans la situation concrète dans laquelle elles vivent. Ce sera toujours le bon moment pour une conversation plus approfondie sur la mission et l’identité du Christ, comme cela s’est produit entre Jésus et la femme au puits de Jacob. La question fondamentale pour nous, ses disciples, est de savoir si nous avons la même conscience de Jésus pour la Mission, son même sens de la responsabilité pour le salut de l’âme (de toutes les âmes !) et son même courage de l’annonce.

  1. « Donne-moi à boire. » La soif et faim de Jesus, le don de l’eau vive et de la vraie nourriture

En réalité, le dialogue entre Jésus et la Samaritaine représente une petite ‘‘catéchèse’’ qui clarifie peu à peu l’identité de Jésus et sa mission. Tout commence par la demande naturelle « Donne-moi à boire » de Jésus, « fatigué par la route ». Voilà le beau paradoxe évangélique : celui qui demande à boire est celui qui donne l’eau vive ; et, comme on le verra plus tard, Jésus qui avait besoin de manger est celui qui donne la vraie nourriture pour la vie éternelle. Il répétera ensuite plus tard, dans l’Évangile de Jean : « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif. » (Jn 6,35)

Mystiquement, le fait que Jésus demande à boire pour ensuite annoncer son don d’eau vive est lié et trouve son accomplissement dans ce qui se passera plus tard lors de son crucifiement et de sa mort, lorsqu’il dira “j’ai soif” puis de son côté « en sorti sang et eau ». Dans cette perspective, il apparait aussi significative la mention de l’heure de la rencontre avec la Samaritaine « vers midi » qui rappelle le début des trois dernières heures de Jésus crucifié jusqu’à sa mort (cf. Mc 15,33-34: Quand arriva la sixième heure (c’est-à-dire : midi), l’obscurité se fit sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure. Et à la neuvième heure, Jésus cria d’une voix forte : « Éloï, Éloï, lema sabactani ? », ce qui se traduit : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »). La soif de Jésus exprimée au puits de Jacob semble toujours demeurer en lui et sa demande à boire, faite au peuple, se poursuit tout au long de sa mission jusqu’à sa mort ! Cette soif symbolise celle de Dieu pour la foi et l’amour de ses créatures. (l’expression “j’ai soif” de Jésus est particulièrement chère à Mère Teresa de Calcutta et à ses missionnaires de la charité).

D’un point de vue missionnaire, je voudrais partager une réflexion à propos de « Donne-moi à boire ». D’une part, c’est toujours une demande humble et réelle pour un besoin essentiel du corps de Jésus, le missionnaire de Dieu, qu’il ne cache jamais. En effet, pour ceux qui lui donneront de l’eau, ainsi qu’à ses missionnaires nécessiteux, Jésus promet une certaine récompense : « celui qui vous donnera un verre d’eau au nom de votre appartenance au Christ, amen, je vous le dis, il ne restera pas sans récompense. » (Mc 9,41; Mt 10,42). Les missionnaires itinérants du Christ ne sont jamais ceux qui ont déjà tout et qui dispensent une aide à tous. Au contraire dans l’intention de Jésus lui-même qui les envoie, ils ne prennent rien pour la route et donc savent aussi demander et recevoir humblement l’aide des populations locales vers qui ils ont été envoyés. D’autre part, cette demande de soutien matériel essentiel comme l’eau sera aussi une provocation/occasion d’entrer en dialogue pour annoncer la vraie eau et le vrai soutien à la vraie vie.

Le don de l’eau vive, ici promis par Jésus, implique qu’il est intrinsèquement lié à la foi en Lui, selon l’énoncé déjà cité: « celui qui croit en moi n’aura jamais soif. » (Jn 6,35b). Il indique donc la réalité du baptême, par lequel chaque personne reconnaît et accueille Jésus non seulement comme Prophète de Dieu, mais comme Christ, Fils de Dieu et Sauveur du monde, exactement comme le chemin de la femme samaritaine et de ses compatriotes pour arriver à la foi en Christ. L’eau vive se révèle ainsi dans la personne même du Christ, envoyé du Père pour le salut du monde. De plus, cette eau sera ensuite, dans un instant ultérieur, expliquée comme identifiable avec l’Esprit de Jésus qui donne la vie à tout croyant dans une nouvelle vie en Christ (cf. Jn 7,37-38).

De ce point de vue, on comprend la déclaration de Jésus à la Samaritaine: « celui qui boira de l’eau que moi je lui donnerai n’aura plus jamais soif », car la vie en Dieu est l’éternel accomplissement du bonheur. En effet, pour poursuivre l’enseignement de Jésus, « l’eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d’eau jaillissant pour la vie éternelle » (pour lui/elle et pour les autres), car chaque croyant en Christ pourra ensuite transmettre aux autres la même vie divine et le même Esprit.

  1. La joie de l’Evangile chez la Samaritaine et ses compatriotes

La réaction de la Samaritaine après la découverte de la personne de Jésus est significative : elle « laissant là sa cruche, revint à la ville » pour parler sans crainte de Jésus-Christ. L’image de la cruche abandonnée peut indiquer la hâte de la femme, mais aussi que le récipient ne lui sera plus utile, car à partir de cette rencontre avec Jésus, elle n’aura plus soif ! Dans une perspective missionnaire, il sera important de rappeler la réflexion du Pape François qui propose une lecture actualisée de l’action de la Samaritaine :

S’il a vraiment fait l’expérience de l’amour de Dieu qui le sauve, il n’a pas besoin de beaucoup de temps de préparation pour aller l’annoncer, il ne peut pas attendre d’avoir reçu beaucoup de leçons ou de longues instructions. Tout chrétien est missionnaire dans la mesure où il a rencontré l’amour de Dieu en Jésus Christ ; nous ne disons plus que nous sommes « disciples » et « missionnaires », mais toujours que nous sommes « disciples-missionnaires ». Si nous n’en sommes pas convaincus, regardons les premiers disciples, qui immédiatement, après avoir reconnu le regard de Jésus, allèrent proclamer pleins de joie : « Nous avons trouvé le Messie » (Jn 1, 41). La samaritaine, à peine eut-elle fini son dialogue avec Jésus, devint missionnaire, et beaucoup de samaritains crurent en Jésus « à cause de la parole de la femme » (Jn 4, 39). Saint Paul aussi, à partir de sa rencontre avec Jésus Christ, « aussitôt se mit à prêcher Jésus » (Ac 9, 20). Et nous, qu’attendons-nous ? (Evangelii Gaudium 120)

Nous n’avons pas besoin d’ajouter quoi que ce soit, si ce n’est un bref commentaire sur un détail curieux à la fin du récit évangélique. C’est précisément la dernière phrase par laquelle les Samaritains s’adressaient à la femme : « Ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons : nous-mêmes, nous l’avons entendu, et nous savons que c’est vraiment lui le Sauveur du monde. » Cela souligne la foi authentique des Samaritains, non par ouï-dire, mais par expérience directe avec Jésus. De la phrase, cependant, nous pouvons imaginer qu’après la mission d’annoncer la personne du Christ au peuple, la femme s’est peut-être un peu vantée trop de son « mérite », d’où le presque reproche « Ce n’est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons ». Le vrai disciple-missionnaire du Christ saura aussi se retirer, comme l’a mentionné le pape François dans une récente réflexion sur la figure de Jean-Baptiste. En effet, ceux-ci seront le modèle pour chaque prophète et envoyé de Dieu en reconnaissant humblement qu’il n’est pas le Christ, sauveur pour ceux qui l’écoutent. De plus, il garde très claire la devise de sa vie et de sa mission: « Lui, il faut qu’il grandisse ; et moi, que je diminue. » (Jn 3,30).

Prions pour que nous puissions tous avoir l’enthousiasme d’annoncer le Christ comme la Samaritaine,

Ô Dieu, source de vie, tu offres à l’humanité desséchée par la soif l’eau vive de la grâce qui jaillit du rocher, le Christ Sauveur, accorde à ton peuple le don de l’Esprit, afin qu’il sache professer fortement sa foi, et annoncer avec joie les merveilles de ton amour. Amen.

 

Pape François, Exhortation apostolique sur l’annonce de l’Évangile dans le monde d’aujourd’hui, Evangelii gaudium

De personne à personne

  1. Maintenant que l’Église veut vivre un profond renouveau missionnaire, il y a une forme de prédication qui nous revient à tous comme tâche quotidienne. Il s’agit de porter l’Évangile aux personnes avec lesquelles chacun a à faire, tant les plus proches que celles qui sont inconnues. C’est la prédication informelle que l’on peut réaliser dans une conversation, et c’est aussi celle que fait un missionnaire quand il visite une maison. Être disciple c’est avoir la disposition permanente de porter l’amour de Jésus aux autres, et cela se fait spontanément en tout lieu : dans la rue, sur la place, au travail, en chemin.
  2. Dans cette prédication, toujours respectueuse et aimable, le premier moment consiste en un dialogue personnel, où l’autre personne s’exprime et partage ses joies, ses espérances, ses préoccupations pour les personnes qui lui sont chères, et beaucoup de choses qu’elle porte dans son cœur. C’est seulement après cette conversation, qu’il est possible de présenter la Parole, que ce soit par la lecture de quelque passage de l’Écriture ou de manière narrative, mais toujours en rappelant l’annonce fondamentale : l’amour personnel de Dieu qui s’est fait homme, s’est livré pour nous, et qui, vivant, offre son salut et son amitié. C’est l’annonce qui se partage dans une attitude humble, de témoignage, de celui qui toujours sait apprendre, avec la conscience que le message est si riche et si profond qu’il nous dépasse toujours. Parfois il s’exprime de manière plus directe, d’autres fois à travers un témoignage personnel, un récit, un geste, ou la forme que l’Esprit Saint lui-même peut susciter en une circonstance concrète. Si cela semble prudent et si les conditions sont réunies, il est bon que cette rencontre fraternelle et missionnaire se conclue par une brève prière qui rejoigne les préoccupations que la personne a manifestées. Ainsi, elle percevra mieux qu’elle a été écoutée et comprise, que sa situation a été remise entre les mains de Dieu, et elle reconnaîtra que la Parole de Dieu parle réellement à sa propre existence.

Pape François, Audience générale, place Saint-Pierre, mercredi 8 mars 2023

Salutation :

[…] Frères et sœurs, invoquons l’Esprit Saint, pour que ce Carême soit un temps favorable pour revitaliser notre dynamisme missionnaire afin en rendant joyeusement service à l’Évangile et à l’Humanité. Que Dieu vous bénisse !

 

(Photo: Pexels.com / RODNAE Productions)

 

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